Essai #1

Au rap (et surtout à Orelsan),

lettre ouverte à un des grands amours de ma vie

« Le problème de la vie, c’est qu’il y en a qu’une. On soignera jamais la dépression comme on soigne un rhume. Mais, dis-toi que tu pourras compter sur moi le temps que ça dure. »

Il y a de ces rencontres qui marquent à vie notre chemin. Souvent, on se souvient des grands moments d’euphorie, des grandes occasions, des grands événements. Grands, tout le temps, ils prennent de la place dans nos mémoires. Toujours aussi, on se souvient des moments les plus durs, les plus sombres, ceux qui nous ont fait douté mais nous ont fait nous relever un petit peu plus aguerris, un peu plus conscients de nous-mêmes, de nos forces comme de nos limites. Mais, on oublie la plupart du temps certains petits instants qui ont parus n’être que trois fois rien et qui pourtant auront été un tournant dans nos vies.

Je ne me souviens pas de la première fois où j’ai entendu un son de rap. Encore moins de la première fois où j’ai eu la voix d’Orel dans les oreilles. J’ai beau chercher maintenant, c’est un moment que mon cerveau a choisi de qualifier de mondain et d’insignifiant. Seulement, le résultat est bien ce qu’il est : cet instant aura été décisif.

« J’aime que les livres, je préfère être seul. Donc, je suis plus content quand il pleut. »

J’ai toujours été de nature à être obsessive, excessive. Les livres, les films, les musiques, j’en bois chaque histoire, chaque mot et chaque image. Je suis née pour la fan culture. Et, pire encore, je suis née pour aimer aimer. Je ne comprends pas ceux qui demeurent neutres, ceux qui n’ont pas d’avis, pas de passion à défendre, pas de cœur à mettre sur la table quand ils parlent de quoi que ce soit. Ce n’est pas que je n’aime pas l’indifférence, c’est que je n’aime pas cette passivité que cela reflète à mes yeux. Et si je ne l’aime pas, c’est que je ne la comprends pas. Mon petit cœur à moi j’aime quand il s’enflamme, quand il s’anime pour des causes, aussi petites soient-elles aux yeux des autres. Les mots me font vibrer. Mieux que ça même, ils résonnent. Ils trouvent toujours un écho en moi. Je les bois, je disais. Je les savoure, je les décortique, je les analyse. Mais, parfois, je me laisse juste porter par leur ivresse. Pas toujours capable d’expliquer le pourquoi du comment, non. Les mots sont incroyables : ils peuvent être ponts entre les hommes, chemins entre les cultures, les idées. Mais, j’aime aussi l’idée qu’ils puissent être des murs. Des constructions qui nous cloisonnent dans notre petit monde à nous, loin de la violence que peut parfois nous rendre le monde extérieur. Les mots sont liberté et les mots sont cages. Prisons d’un univers intérieur complexe, intime et profond. Au temps la liberté peut prendre toutes les formes qu’elle souhaite, quitte même à en abuser jusqu’à superficialité, au temps les barreaux nous renferment et nous renvoient à ce qu’on ne souhaite pas affronter, ce dont nos regards se détournent. Les mots sont des armes, des outils, des pansements. Les mots peuvent être beaux, durs, poétiques, incompréhensibles ou révélateurs.

Parfois aussi, les mots c’est « s*ce ma bite pour la saint Valentin ». C’est mon premier souvenir du rap et d’Orelsan, donc. J’ai douze ans et j’ai déjà entendu beaucoup de rap mais ça, c’est différent. La musique, je l’aime et je l’aime sous toutes ses formes. J’ai grandi à la musique populaire d’ici et d’ailleurs. Mes parents en écoutent tout le temps, personne n’en fait, en revanche. Je grandis dans une maison de banlieue pavillonnaire où toutes les maisons sont les mêmes. Chez moi, on n’est pas très scolaires. Sauf moi, je le suis entièrement. Je passe ma vie dans mes bouquins, mes ordis et mes cahiers.

« On te dira toujours d’être premier, jamais d’être heureux. Premier c’est pour ceux qui ont besoin d’une note, qui ont pas confiance en eux. »

Je passe mes journées dans mon monde intérieur. J’aime être seule, je ne sais juste pas encore que c’est vrai. Je pense plutôt que je ne comprends pas le monde autour et que je n’arrive pas à m’incruster sur ce fond vert parfait où les gens semblent avoir en main des clés que je n’ai pas. Je mets mon casque et j’ouvre Youtube. Je trouve le clip de Saint Valentin par un hasardeux chemin. À l’époque, l’internet c’est une porte de sortie, un voyage qui nous emmène vers d’autres mondes. Parfois, cet autre monde, c’est des clips faits à l’arrache par des petits gars de Caen qui disent des trucs pas du tout faits pour être entendus par une gamine de douze ans.

Avant-hier, j’avais 12 ans, je tombais amoureuse du rap grâce à Orelsan qui nous décrit la vie d’un mec lambda qui mène une vie lambda. Je me reconnais là. La musique est faite pour être partagée, comprise, universelle et intime dans le même temps. Je n’ai jamais entendu de mots qui ne résonnèrent plus dans mon cœur que ceux de cet ancien réceptionniste d’hôtel. Chaque écoute de ses albums me ramènent à moi-même : à mes défauts et à mes erreurs, mais aussi à la lucidité que j’ai désormais sur ces derniers et au courage que j’ai eu de les changer ou tout du moins de tenter ; à ce qui est important et aux choses pour lesquelles je suis reconnaissante. Ombre et lumière, toujours.

Aujourd’hui, j’ai 26 ans, 5 albums de plus dans les pattes et suis au premier rang de la U Arena pour la troisième fois de la semaine. J’assiste pour la 38ème fois de l’année au même concert. Celui du rappeur que j’écoute donc depuis 14 ans maintenant. À côté de moi ? Clélia, 11 ans. Ce n’est pas sa première fois en concert, pas non plus la première fois qu’elle voit Orel. Elle me fait marrer. Elle est adorable. Elle sort son iPod Touch pour faire des photos, elle a le sourire jusqu’aux oreilles. Mais, Clélia ne comprend pas pourquoi je pleure à chaudes larmes quand vient Notes Pour Trop Tard… La vérité ? C’est que je pleurais déjà en silence sur San. Là ? J’implose. « Pourquoi t’es triste ? », me demande-t-elle gentiment. La vérité, encore ? Je ne suis pas triste, non. « Regarde, des larmes de joie », je suis émue, je suis touchée, quelque peu soulagée (je vous l’expliquerais surement plus tard), mais surtout reconnaissante. Jamais je n’aurais cru que ma vie m’emmènerait jusqu’ici.

Au-delà des concerts, « je vais pas te cacher que la vie est belle. » Alors, je réponds simplement à Clélia qui me console, la tête sur mon épaule : « tu comprendras quand tu seras grande. » Je me suis soûlée un peu, j’avoue. Mais, j’ai kiffé. Beaucoup.

Merci au rap, merci à Orelsan, Skread, Ablaye, Manu, Eddie, Phazz.

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